En trois semaines, la jeunesse malgache portée par la « Gen Z » a fait vaciller le pouvoir d’Andry Rajoelina. Entre euphorie, chaos et espoir, retour sur une mobilisation sans précédent qui a bouleversé Madagascar et conduit l’armée à s’emparer du pouvoir.
Vendredi 17 octobre. Sur la place emblématique du 13-Mai, à Analakely, au cœur de la ville d’Antananarivo, trône une œuvre d’art « offerte » par l’artiste contemporain Joël Andrianomearisoa pour la capitale de Madagascar, il y a quatre ans déjà. Y est inscrite la phrase en malgache : « Eto isika dia manandratra ny nofin'izao tontolo izao » Traduisez, « Ici, nous portons les rêves du monde ».
Par Raoto Andriamanambe, correspondant Tama Média à Madagascar
Depuis le jour symbolique du 11 octobre, durant lequel une importante unité de l’armée de terre est sortie de sa caserne pour apporter son soutien aux manifestants, les membres du mouvement Gen Z y ont apposé une immense banderole noire sur laquelle est écrit « mitsangàna ry tanora » (jeunesse, levez-vous), accompagné du célèbre Jolly Roger de Monkey D. Luffy, symbole des soulèvements de la Gen Z dans le monde. Deux mondes se croisent et s’entrechoquent.
La répétition de l’histoire
Six jours après cette irruption décisive de l’armée dans la contestation du pouvoir en place, le colonel Michaël Randrianirina a prêté serment vendredi (17 octobre) en tant que président de la « Refondation ». C’est un épilogue sans nul doute provisoire de ce nouvel épisode de mouvement populaire pour Madagascar, coutumier des crises cycliques, la dernière datant de 2009 et qui a porté au pouvoir Andry Rajoelina.
« Apparemment l’histoire se répète et elle est vouée à se répéter tant que les dirigeants et leur cour n’apprennent pas de l’histoire. Il faudrait apprendre à casser le cycle de l’histoire », analyse Josie Dominique, chercheuse et maître de conférences à l'université d'Antsiranana, spécialiste des questions militaires.
« L'histoire des mouvements sociaux est effectivement une perpétuelle répétition de sursauts initiés par la jeunesse. Lorsque cette dernière est méprisée et exclue des décisions politiques, la contestation est inévitable, surtout auprès d'une population majoritairement jeune », ajoute To Ranaivoharijao, cofondateur de la Revue politique Tolona, diplômé en sociopolitique et en droit public, spécialisé en droit administratif.
L’une des « nouveautés » des évènements de 2025, qui ont débuté le 25 septembre 2025, est sa connexion avec la révolte de la Génération Z, dans plusieurs coins du monde, du Népal au Maroc. « La “Gen Z” est dans l’ère du temps. Elle bouscule, elle propose sans demander quoique ce soit en retour. (Elle réclame) une justice sociale (contrairement aux) partis politiques qui sont souvent dans des calculs politiques et sans vraiment (porter) de projets de société viable », glisse la chercheuse.
Nous étions excédés par l’état catastrophique du pays. Il n’y a plus de perspectives à Madagascar.

Les premières revendications portaient sur l’eau et l’électricité. En effet, les coupures d’électricité pouvaient durer jusqu’à 5 heures par jour dans la capitale et dans d’autres régions de la "Grande-île" de l'océan Indien. Cette situation mettait en relief d’autres problématiques sociales et économiques. Malgré un taux de croissance de près de 4% par an, la pauvreté est une réalité déchirante et omniprésente.
Selon la Banque mondiale, 80,3 % de la population malgache vit avec moins de 2,15 dollars par jour, faisant de Madagascar l’un des pays les plus pauvres de la planète. Au milieu de tout ce marasme, Andry Rajoelina avait promis, lors de la campagne électorale en 2018, de « réaliser en 5 ans ce que les dirigeants successifs n’ont pas réussi à faire en 60 ans ». Une promesse qui s’est heurtée aux réalités du pays et qui est devenue un échec.
« Nous étions excédés par des problématiques profondes et par l’état catastrophique du pays. Il n’y a plus de perspectives à Madagascar. Il était normal que nous nous étions révoltés », raconte auprès de Tama Média Stephanio Ravonty, membre de la branche locale de la Gen Z, Atsinanana, région qui abrite la deuxième ville de Madagascar. Le 25 septembre, l’appel de deux conseillers municipaux de la ville d’Antananarivo avait été largement relayé par la jeunesse unie pour réclamer des changements profonds dans la société malgache. C’est le départ de manifestations régulières qui ont allègrement débordé des revendications initiales.
Au fil des journée, la démission du président Andry Rajoelina était réclamée, surtout au lendemain de la nuit du 25 septembre où des pillages généralisés s’étaient déroulés sans que les forces de sécurité n’interviennent.
Répression
Au départ, le mouvement était sans leaders ni porte-paroles avec une approche atypique et horizontale. « Je n’ai jamais vécu des manifestations à la fois coordonnées et aussi chaotiques. Les mouvements étaient suffisamment coordonnés pour durer mais pas assez pour pouvoir s’imposer dans la crise politique », souligne sous couvert d’anonymat un membre de la société civile, défenseur des droits humains. « Le succès (du mouvement) a résidé dans la communication. Les codes politiques ont changé. Les jeunes citoyens assimilent les idées de revendication et de lutte, non plus par les longs discours traditionnels, mais par des contenus viraux et connectés : des reels sur Instagram et TikTok, des mèmes, des chansons satiriques, etc. », décrypte l’analyste To Ranaivoharijao, le cofondateur de la Revue politique Tolona.
Les manifestations ont été violemment réprimées par les forces de l’ordre, notamment des unités de la gendarmerie. La répression qui a entraîné des morts et des blessés a, au final, conduit l’intervention décisive des militaires, dont certains sont issus du Corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques (Capsat).
Point de bascule

Le colonel Michael Randrianirina
Au milieu de l’après-midi du 14 octobre, les éléments conduits par le colonel Michael Randrianirina, ont investi le palais présidentiel, à Ambohitsirohitra. « On va prendre le pouvoir à partir d’aujourd’hui et on dissout le Sénat et la Haute Cour constitutionnelle. L’Assemblée nationale, on la laisse continuer à travailler », avait déclaré le désormais président de la « Refondation » de la République. Avec l'aide de la France, Andry Rajoelina a pu être exfiltré vers un autre pays d'où il a pointé du doigt un coup d'État.
« C'était le point de bascule. Bien que l'immixtion d'un corps structuré fût prévisible (l'armée, des syndicats ou un autre corps de la fonction publique), l'arrivée des officiers fut un tournant majeur, détaille To Ranaivoharijao. Elle est survenue au moment opportun, après des jours de répression violente. Leur simple communiqué a su galvaniser la foule qui avait cruellement besoin d'un second souffle et d'une force capable de faire face à l'autoritarisme ».
Josie Dominique est un peu plus mesurée. « (L’entrée en scène de l’armée est) surtout le début d’un nouvel épisode d’une longue série. (Elle) a été le point de bascule pour l’accès à la place de l’indépendance. (Nous avons) gagné le droit de manifester en paix, mais (avons-nous) gagné les autres points de revendications ? », s’interroge-t-elle.
Nouveau chapitre


Investiture du colonel Michael Randrianirina
La prise de pouvoir de l’armée ouvre un nouveau chapitre qui doit déboucher sur un nouveau gouvernement, synonyme de nouvelles batailles de fauteuils impliquant anciens opposants et politiciens mis en marge durant ces années de « règne » sans partage de Andry Rajoelina.
Dans cette bataille loin des rues cette fois-ci, la jeunesse semble partir avec une longueur de retard. « Nous sommes quelque peu relégués dans les négociations, regrette Stephanio Ravonty. Or, la jeunesse doit être consultée et valorisée durant tout le processus ». Les tractations en coulisse semblent laisser les principaux moteurs du mouvement sur le bas-côté.
« Nous sommes sortis des griffes de l'oppression. C’est un tournant historique qui nous mènera vers le changement réclamé par la population », a déclaré le nouvel homme fort du pays durant sa prise de parole lors de son investiture.
Pour la jeunesse engagée et citée de nombreuses fois par le président de la « Refondation » de la République, la peur du vide règne et surtout la crainte qu'elle soit oubliée dans le sillage de cette “révolution” qu’elle a portée.
Par Raoto Andriamanambe, correspondant Tama Média à Madagascar
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