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Politique

Madagascar, ce grand corps malade

17 octobre 2025
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Madagascar, ce grand corps malade

CHRONIQUE. La chute d’Andry Rajoelina met à nu la fragilité des institutions malgaches et l’incapacité chronique du pays à sortir du cycle des transitions militaires

Par Tidiane Dioh, analyste politique d'origine sénégalaise. Fondateur du cabinet de conseil en stratégie LenadConsulting et ancien journaliste au magazine Jeune Afrique et à TV5MONDE. Il a été également fonctionnaire international à l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) pendant 20 ans.

*Cette chronique a d'abord a été publiée sur le site du Point Afrique par l'auteur.

Ce 12 octobre, Andry Rajoelina, 51 ans, président de la Haute Autorité de la transition de Madagascar entre 2009 et 2013, chef de l'État élu en 2018, réélu en 2023, a donc finalement quitté le pays sur la pointe des pieds. Exfiltré. La sortie de scène (momentanée ?) de cet homme, figure majeure de la vie politique malgache depuis de nombreuses années, rappelle étrangement l'époque des coups d'État vintage des années 1970 en Afrique.

Toutefois, pour lui, cette exfiltration pourrait ne pas être signe de capitulation. Il n'a pas été pris en otage et n'a pas eu à démissionner officiellement sous la contrainte de ses tombeurs, comme ce fut le cas récemment dans d'autres pays d'Afrique. De fait, Andry Rajoelina pourra toujours, si telle est sa volonté, raviver la flamme du refus depuis son lieu d'exil. Pour l'heure, le colonel Michaël Randrianirina, 51 ans, devient le nouvel homme fort du pays, le temps d'une transition qui devrait durer plusieurs mois.

Le mouvement « Gen Z Madagascar » a su, notamment via les réseaux sociaux, mobiliser un plus grand nombre.

L'exil d'Andry Rajoelina marque le point d'orgue des émeutes qui ont débuté le 25 septembre 2025 à Antananarivo, la capitale du pays, à la suite des délestages électriques et hydriques chroniques qui finirent par paralyser le pays et entraîner un mécontentement plus large dans plusieurs villes. Au cœur du dispositif, le mouvement « Gen Z Madagascar » qui a su, notamment via les réseaux sociaux, mobiliser un plus grand nombre.

Le président Rajoelina, qui connaît ses classiques pour avoir autrefois lui-même organisé la résistance contre le pouvoir en place, a plus d'une fois tenté de reprendre la main. Encore le 6 octobre, en nommant le général Ruphin Fortunat Zafisambo au poste de Premier ministre. Avant que, le 11 octobre 2025, une partie de l'armée fasse défection, se rallie aux manifestants et appelle les troupes à ne pas tirer sur la foule.

De fait, lorsque le 12 octobre, le pouvoir malgache dénonce une « tentative de prise de pouvoir illégale et forcée » et que l'Union africaine affirme suivre « avec une profonde inquiétude les développements politiques et sécuritaires récents en République de Madagascar », les jeux étaient déjà faits.

Pour dire vrai, à Madagascar, les mandats présidentiels se sont souvent terminés dans la confusion du fait notamment des revendications croisées de la rue, de l'armée, des églises et de quelques autres acteurs, sous le regard impuissant de la communauté internationale.

Ce fut le cas avec l'amiral Didier Ratsiraka, redevenu chef d'État en 1997 qui, contestant les résultats de l'élection présidentielle de décembre 2001, finira par quitter le pouvoir à l'issue d'un long bras fer avec son challenger, le maire de la capitale, Marc Ravalomanana. Après de violentes émeutes et deux séries de négociations organisées à Dakar au cours l'année 2002, la crise, née de divergences sur le décompte des voix de la présidentielle, prend fin en juillet 2002 avec le départ précipité de Didier Ratsiraka vers la France. Les pays occidentaux, les États-Unis en tête et la France ensuite, finirent par reconnaître la victoire de Ravalomanana, avant que l'Union africaine, l'ONU et les bailleurs de fonds ne suivent, en janvier 2003, au lendemain des élections législatives remportées par son parti. Ironie de l'histoire, Marc Ravalomanana lui-même devra s'enfuir en Afrique du Sud en mars 2009, dans des conditions quasi similaires que son prédécesseur, à l'issue d'une farouche opposition avec le maire de la capitale Andry Rajoelina, celui-là même qui vient de s'enfuir de Madagascar.

Au chevet du patient

Depuis deux décennies, la communauté internationale, à chaque fois, a été appelée à la rescousse de ce grand corps malade. Et plus d'une fois les protagonistes de la crise malgache se sont retrouvés à l'étranger pour solder leurs différends. C'est d'abord, on l'a dit, à Dakar, en avril, puis en juin 2002. C'est ensuite à Maputo, au Mozambique en août 2009. Pourtant, depuis deux décennies, les élections, à Madagascar bien plus qu'ailleurs, sont observées scrupuleusement par la communauté internationale. En 2018, un expert électoral de réputation mondiale confiait à l'auteur de ces lignes, qu'il avait effectué plus de soixante missions techniques à Madagascar en moins d'une décennie. Bailleurs de fonds, organisations internationales, organisations de la société civile, ONG, spécialistes du droit, experts en tous genres, consultants, entrepreneurs électoraux… n'ont cessé de se relayer au chevet de la grande île tenaillée entre corruption, difficultés économiques et pauvreté endémique. En vain.

Un cas d'école

Le cas malgache, comme toutes ces « ruptures de l'ordre constitutionnel » dont le continent fait l'amère expérience depuis plusieurs années, devraient conduire les organisations internationales à interroger leurs approches et les élites intellectuelles africaines à renouveler la pensée et la doctrine qui sous-tendent la pratique du pouvoir politique en Afrique. Car au fond, ce qui est à l'œuvre sur le continent, aujourd'hui, c'est cette tension permanente entre la légitimité des urnes et la légitimité populaire, entre élection et bonne gouvernance.

Il est peu probable que le président Andry Rajoelina réussisse, depuis son lieu d'exil, à organiser la résistance et à revenir aux affaires. Et la transition pourrait s'éterniser. Cette nouvelle crise risque d'isoler davantage l'île. Le 15 octobre, l'Union africaine a suspendu Madagascar de ses instances.

Il y a plus de vingt ans, au sommet des chefs d'États à Durban (Afrique du Sud) en juillet 2002, qui a marqué le passage officiel de l'Organisation de l'Unité africaine (OUA) à l'Union africaine (UA), le cas malgache avait déjà laissé entrevoir les lignes de fractures. Lors du huis clos des chefs d'État, une vive altercation avait opposé le président nigérian Olusegun Obansanjo à son homologue sénégalais Abdoulaye Wade qui, quelques semaines plus tôt, avait accueilli à Dakar Marc Ravalomanana et Didier Ratsiraka. Dans l'esprit de la plupart des chefs d'État, au premier rang desquels Obansanjo, la toute nouvelle Organisation panafricaine devait rester ferme face au non-respect de la doctrine d'Alger de 1999, réaffirmée un an plus tard à Lomé, de ne plus accueillir parmi eux quiconque arriverait au pouvoir autrement que par la voie constitutionnelle. Or Wade, partisan d'une ligne plus réaliste, considérait lui, que la plupart des élections en Afrique étaient synonymes de ruptures de l'ordre constitutionnel, tant elles sont truquées et ne reflètent pas la volonté populaire.

Loin de là, depuis son exil français, l'amiral Ratsiraka, aujourd'hui disparu, sentant le pouvoir lui échapper définitivement, avait alors adressé à l'Union africaine une lettre prémonitoire aux allures d'admonestation. Dans sa missive restée dans les annales, Ratsiraka, tout en réaffirmant que son adversaire lui avait volé sa victoire, avait, après un long développement sur la démocratie et sur l'importance du respect des résultats issus des urnes, averti ses pairs : « Le cas de Madagascar mérite qu'on s'y attarde, qu'on l'analyse, qu'on y réfléchisse bien… Je voudrais, en lançant ce cri d'alarme, éviter qu'on dise, dans une ou plusieurs décennies : on aurait dû faire ceci ou cela. Ce serait trop facile de demander pardon à l'Histoire… ». Dire que c'était il y a vingt-trois ans.

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